Langues française et anglaise: influence
réciproque, par le Dr Philippe Pionetti

Le Dr Philippe Pionetti, éminent Marémontan, a rédigé, avec son humour habituel, cette étonnante histoire qui prouve une fois encore l'influence réciproque que les langues française et anglaise ont l'une sur l'autre.

 

On connaissait “Dieu et mon Droit” devise royale du Royaume Uni en langue française, depuis le règne d'Henri V d'Angleterre au XVe siècle) « Honi soit qui mal y pense » (avec un seul « n »), au château de Windsor Devise du souverain d'Angleterre - « Honi soit qui mal y pense » est aussi la devise de l'ordre de la Jarretière, mais on sait moins que l’hymne national anglais est français. Retour sur image...

 

Histoire rocambolesque d’un mal royal français,oh my God !

 

Tout commence en ce jour de janvier 1686, où notre bon roi Louis le XIVe tombe subitement malade.
Il semble qu'il se soit piqué en s'asseyant sur une plume des coussins qui garnissaient son carrosse, déclenchant un abcès à l'anus, qu'il aurait fallu immédiatement inciser pour éviter que la blessure ne s'infecte; mais les médecins du roi, épouvantés à l'idée de porter la main sur le fondement de la monarchie, optèrent pour des médecines douces, type onguents.
Ces méthodes ne donnèrent aucun résultat.
Tout cela dura près de 4 mois et les douleurs royales ne cessaient pas !
Brusquement, vers le 15 mai, les chirurgiens, verts de peur, soupçonnèrent l'existence d'une fistule. Ce fut l'affolement général. Finalement, le 1er chirurgien Félix de Tassy (appelé simplement Félix) décide d'inciser et "invente" un petit couteau spécial, véritable pièce d'orfèvrerie dont la lame était recouverte d'une chape d'argent.
Il fallut encore 5 mois pour fabriquer ce petit bijou...
L'opération eut lieu le 17 novembre 1686- sans anesthésie ! 
Il faudra encore 2 autres incisions (la plaie ayant du mal à se refermer pour cicatriser) pour qu'enfin à la Noël 1686, on puisse déclarer que le roi était définitivement sorti d'affaire... et mettre fin aux rumeurs qui, à l'étranger, se propageaient disant que Louis XIV était à l'agonie.

Dès l'heureuse issue de l'intervention connue, des prières furent dites dans le royaume et les dames de Saint- Cyr (création de Mme de Maintenon devenue épouse morganatique) décidèrent de composer un cantique pour célébrer la guérison du roi. La supérieure, Mme de Brinon (nièce de Mme de Maintenon), écrivit alors quelques vers assez anodins qu'elle donna à mettre en musique à Jean-Baptiste Lully :
Grand Dieu sauve le roi !
Longs jours à notre roi !
Vive le roi . A lui victoire,
Bonheur et gloire !
Qu'il ait un règne heureux
Et l'appui des cieux !

Les demoiselles de Saint-Cyr prirent l'habitude de chanter ce petit cantique de circonstance chaque fois que le roi venait visiter leur école.
Ce fut ainsi qu'un jour de 1714, le compositeur Georg Friedrich Haendel, de passage à Versailles, entendit ce cantique qu'il trouva si beau qu'il en nota aussitôt les paroles et la musique. Après quoi, il se rendit à Londres où il demanda à un clergyman nommé Carrey de lui traduire le petit couplet de Mme de Brinon.
Le brave prêtre s'exécuta sur-le-champ et écrivit ces paroles qui allaient faire le tour du monde:
God save our gracious King,
Long life our noble King,
God save the King!
Send him victorious
Happy and glorious
Long to reign over us,
God save the King !

Haendel remercia et alla immédiatement à la cour où il offrit au roi —comme étant son oeuvre— le cantique des demoiselles de Saint-Cyr. Très flatté, George 1er félicita le compositeur et déclara que, dorénavant, le "God save the King" serait exécuté lors des cérémonies officielles.
Et ce fut ainsi que cet hymne, qui nous paraît profondément britannique, est né de la collaboration :
- d'une Française (Mme de Brinon),
- d'un Italien (Jean-Baptiste Lully -ou Lulli-) naturalisé français,
- d'un Anglais (Carrey),
- d'un Allemand (Georg Friedrich Händel -ou Haendel-) naturalisé britannique, et .....
- d'un trou du cul français, celui de Sa Majesté Louis XIV.
Un hymne européen, en fait !
Si Louis XIV ne s'était pas mis, par mégarde, une plume dans le « derrière », quel serait aujourd'hui l'hymne britannique ?...
Pourrez-vous désormais écouter "God save the Queen" sans penser à cette petite plume ?...

Philippe Pionetti,
membre de l'académie Marémontane

Louis XIV
George 1er