Hommage à Isolde Baumgart-Monson,
par le président de l’académie Marémontane, Valéry d’Amboise
Si j’ai pris l’initiative de cet hommage à Isolde, c’est surtout parce qu’en tant que président de l’académie Marémontane, dont elle fait partie, aujourd’hui comme hier, je la lui devais. Il est évident que Jim Monson aurait été plus précis, lui qui est son époux depuis presque 40 ans. Mais ce n’est pas la femme au quotidien que je veux honorer, plutôt l’artiste et ce qu’elle représente pour nous tous et pour les générations à venir.
Ce ne sera pas un éloge à la Bossuet ou à la Malraux, avec de grands gestes et des intona-tions mélodramatiques à vous arracher des larmes. Ce ne sera pas non plus cette véritable fête de certains noirs d’Amérique du Nord avec orchestre, fanfare, chants et danses. Mais Isolde, pour moi et pour vous sans doute, est quelqu’un de joyeux. Regardez ce sourire malicieux sur la photo que j’ai choisie, aussi parce que notre ami Richard y figure, ainsi que Jim. Alors, si je plaisante de temps à autre, vous aurez parfaitement le droit de sourire, voire même de rire. D’ailleurs, Isolde est là, parmi nous. Elle m’écoute et vous observe.
Lorsque, voici deux ou trois mois, j’ai évoqué son nom, à Bochum, chez mon ami de toujours, le professeur Ekkehard Blattmann, il m’a regardé d’un air étrange et m’a dit : « Isolde Baumgart ! Tiens donc ! » Je m’attendais à ce qu’il me parle de l’artiste. Nullement. Il avait une autre idée en tête. C’était le prénom qui l’avait troublé. Ekkehard n’est pas n’importe qui. Il a été professeur pendant trente ans à l’une des plus prestigieuses universités qui soient au monde, celle de Heidelberg, où il a terminé sa carrière au sommet de la hiérarchie, ni plus ni moins au niveau de recteur. Moitié en allemand, moitié en français, qu’il parle comme vous et moi, il a commencé à me raconter la légende de Tristan et Yseult, Isolde en allemand.
Je résume le conte, aux multiples rebondissements. Isolde a épousé le roi Marke. Mais, ayant bu le philtre d’amour avec le héros Tristan, elle est restée son amante et ils se voient en secret. Les ennemis du héros ont eu vent de cette idylle qu’ils dénoncent au roi. Isolde, pour se défendre, n’a plus que le jugement de Dieu. Elle devra, notamment, franchir une rivière en furie. Son époux, le roi Marke et la cour sont massés sur une rive. De l’autre rive, elle plonge mais ne peut résister au courant ; au bord de la noyade, elle est sauvée par un mendiant qui passait par là par hasard et vient la déposer aux pieds du roi avant de disparaître. La cour gronde. Isolde ne s’en est pas sortie toute seule. Mais comme personne ne sait si le jugement de Dieu interdit cette aide anonyme, fruit du hasard, le roi Marke demande simplement à son épouse de faire le serment solennel de son innocence. Alors, elle s’écrie, d’une voix assurée et très convaincante :
« Je jure devant Dieu qu’aucun homme ne m’a jamais tenue dans ses bras à part mon roi… et ce mendiant qui m’a sauvée. » Elle est donc déclarée innocente. Nous savons vous et moi qu’il n’en est rien. Alors, est-elle parjure la belle Isolde ? Eh non ! Car le mendiant en question n’était autre que… Tristan lui-même, déguisé avec soin.
Je me suis tourné vers Ekkehard et je lui ai fait remarquer : « C’est très beau ton histoire. Mais qu’a-t-elle à voir avec notre Isolde à nous ?
– C’est très simple. Les rencontres secrètes de Tristan et Isolde se faisaient dans un jardin arboré… oui, avec de beaux arbres, en allemand Baumgarten, Baumgart. Isolde Baumgart.
Pour en revenir à l’artiste, il faut remarquer que les artistes justement, cette élite de toutes les civilisations, quelles qu’elles soient, laissent toujours quelque chose après eux. Ils partagent cela avec certains maires. Il y a Notre Père qui êtes et cieux ; nous, nous avons notre Frère qui êtes au mieux. Il laissera lui aussi, bien des traces de son action.
Isolde, l’artiste. Certains méchants vont dire :
« Bof ! C’est de l’art ça ? Qu’est-ce que ça représente ? » En voilà une question !
On peut dire que l’art s’est construit autour des figures religieuses ; puis, certains ont commencé à ajouter un décor, un paysage, d’autres personnages. Et enfin, la religion s’est effacée derrière une peinture toujours représentative, avec d’autres sujets. De la carotte entre deux poireaux jusqu’aux scènes de guerre ou de nus. Puis, Cézanne est arrivé, en précurseur d’un art qui est devenu abstrait. Kandinsky, par exemple, avouait ne même pas savoir dessiner ! Ceci pour dire que l’art n’est pas seulement une façon de montrer ce que le photographe fait très bien, surtout avec Photoshop, mais encore une manière de communiquer des émotions. Et là, Isolde est quelqu’un !
Nul n’est prophète en son pays, reconnaît le bon sens populaire. Notre Isolde assiste à tous les événements culturels tourrettans. Et pourtant, c’est à peine si les anonymes la remarquent tellement elle est discrète, modeste, très loin de l’image que le vulgum pecus peut se faire d’une artiste internationale. Alors, vite, internet et Google, au secours ! Là, c’est la stupéfaction, le coup de théâtre. Entre Isolde Baumgart, Isolde Monson ou Isolde Baumgart-Monson, plus de 2700 citations dans plusieurs langues du monde entier apparaissent, même en chinois ou en japonais. 400 sites traitent de son œuvre. Entre parenthèse, pour Jim Monson, c’est encore plus !
Bon sang, mais c’est qui cette Isolde-là ? Vite, il faut consulter une biographie. Et là, on comprend. Isolde Monson n’est pas une retraitée de l’enseignement, de la banque ou de la culture des olives et des citrons qui s’est reconvertie, à la fin de sa vie, dans la peinture et la sculpture. Elle sort des Beaux-Arts de Berlin, ni plus ni moins, pour continuer aux Beaux-Arts de Kassel. Son maître est Stanley William Hayter (Jim : prononciation ?) où elle a dû rencontre Jim Monson, qui a le même maître (confirmation ?)
Elle n’a même pas 30 ans quand elle est nommée professeure au Centre américain de Paris. Elle enseignera encore à l’Université du Connecticut, à la Merz Academie de Stuttgart, à l’université de Kassel. Ses expositions en solo en Europe et aux USA depuis 1960 se comptent par dizaines et plus encore ; sans oublier les expos de groupe qui se sont tenues, cette fois dans le monde entier. Elle cumule les prix Toulouse-Lautrec, prix de Versailles, prix du Cinéma. Parmi ses œuvres les plus connues figurent des affiches pour la foire de Munich (où elle est née), pour le bicentenaire de la Révolution française (où elle était artiste invitée SVP !), et pour le cinéma « les Enfants du Paradis », « La Belle et la Bête » pour les reprises dans cinémathèques germaniques, Hitchcock etc.
On mesure la popularité d’un artiste à la présence de ses œuvres ici ou ailleurs. Eh bien elle est représentée dans une multitude de collections les plus diverses, privées ou publiques, par exemple à Berlin, Francfort, Kassel, Minneapolis, Munich, Paris (Bibliothèque Nationale, Ville de Paris), Oslo, Skopje, Stuttgart, Wiesbaden et combien d’autres !...
Pour finir, je voudrais dire quelques mots sur son activité pour la Deutsche Bundespost, la poste allemande. Elle a réalisé pour cet organisme terriblement exigeant, une foule de timbres-poste. De véritables bijoux.
C’est d’ailleurs à cette occasion que je l’ai connue vraiment, je crois en 2002 ou 2003, après nos rencontres lors des manifestations culturelles tourrettanes.
Elle avait compris que l’informatique, je veux dire, l’infographie, était un outil fantastique. En particulier pour réaliser ses timbres-poste. Ne voulant pas déranger son époux, pourtant expert en la matière, elle m’a appelé au secours, sachant qu’à l’époque, j’avais enseigné cet art, notamment Photoshop, à plusieurs professeurs d’infographie désirant se mettre à jour des nouveautés du logiciel. Eh bien mon modeste enseignement n’a pas duré plus de dix ou douze cours. Elle m’a très vite stupéfié par sa vivacité d’esprit, son étonnante intelligence. Douze cours peut-être, et la novice m’avait rattrapé. Je me souviens de ses rhinocéros, sur lesquels nous nous sommes entraînés, à corriger, effacer, reprendre, modifier les couleurs et les formes. À tel point que lorsque par hasard, à la télé ou dans une revue, je vois un rhinocéros, je pense à elle en éclatant de rire, parce qu’elle n’a vraiment rien du pachyderme !
Voilà qui est, pour moi, et pour des générations sans doute, Isolde Monson. Isolde, si tu pouvais rester dans le coin, s’il te plaît ! Ta place est libre, dans notre académie Marémontane, en attendant ton retour. Je sais. Au ciel, il paraît qu’ils n’ont pas encore internet ! Plus de 100 papes freinent des quatre fers contre le progrès. Alors, les anges communiquent par courrier postal et bien sûr, les enveloppes sont affranchies avec un magnifique timbre-poste signé Isolde Monson.