La symphonie du "Seigneur des anneaux"
Nouvelle Symphonie fantastique!

Il y avait de nombreux Tourrettans ce samedi 28 octobre, à Acropolis, au milieu de 2500 personnes (sur plus de 7000 demandes), et je ne vous y ai pas vu, cher Internaute ! Vous avez manqué LE concert de l’année*.
Le conseil général, Christian Estrosi et son ministre de la culture azuréenne, le docteur Alain Frère, dans le prolongement des quelque 350 soirées estivales, offraient « C’est pas classique ! » quatre jours de concerts gratuits (et autant de succès), dont cette symphonie constituait le sommet.
«Le Seigneur des anneaux», aux cent millions de lecteurs, a été écrit par l’Anglais J.R.R. Tolkien en 1954/1955 ; cette longue quête initiatique des deux Hobbitts et de leur compagnon ambigu Golum est un des monuments littéraires du siècle. Tout un monde médiéval, et même un langage spécifique, recréés : de quoi frapper les imaginations.
Le Néo-Zélandais Peter Jackson, à la charnière entre deux millénaires, en a tiré, pour le cinéma, une trilogie époustouflante, véritable tsunami qui a submergé d’émotions les plus diverses toute la planète cinéphile et bien au-delà. C’est Howard Shore qui, sur la Côte d’Azur notamment, en a composé la musique (deux oscars à Hollywood), une partition de près de douze heures dont il a extrait une symphonie qui a littéralement cloué sur leur fauteuil le public d’Acropolis. Certains, ne pouvant plus dominer leurs émotions, sont même allés jusqu’à tenter d’applaudir entre les mouvements, ce qui ne se fait jamais. Inutile de préciser qu’à la fin de ce long fleuve peu tranquille, il y a eu une véritable explosion, tous ont bondi de leur fauteuil pour hurler leur enthousiasme sans interruption durant près de dix minutes. Pour le Canadien anglophone Howard Shore, présent au concert —un bel exploit du Dr Frère et de son équipe!— cela s’appelle une « standing ovation », une ovation debout.
L’organisateur attentif et méticuleux, Hubert Tassy, directeur de l’ADEM (présidée par le Dr Frère), sobre et discret, devait planer au-dessus de la salle, entre deux anges. André Peyrègne, directeur du conservatoire, avait présenté le compositeur et le spectacle, les deux orchestres (Cannes et San Remo), excellents et les quelque deux cents choristes (chef Alain Joutard) sous la direction du jeune chef allemand (d’une précision métronomique !) Markus Huber, sans oublier les solistes Ann de Resnais, Marie Kobayaski, Jean-François Ercolani et Paul Szikora.

*avec la soirée donnée par Elisabeth Vidal, à Ste-Rosalie, plus intimiste mais tout aussi sublime

Ci-dessous, Howard Shore montre qu'il est capable de jongler en signant un autographe d'une seule main! (photo Emmanuel Guillon)

Mais pourquoi cette œuvre a-t-elle bouleversé l’auditoire?
En premier lieu, elle est une preuve qu’au 21e siècle, on peut encore composer une musique qui sait parler au cœur, riche d’harmonies, de timbres, de rythmes, de couleurs, d’émotions, de tendresse et de violence, de guerre et d’amour. Voulant éclairer un monde médiéval, Shore n’a rien inventé, il n’a pas joué les novateurs insupportables du genre Ligeti ou Xenakis pour qui la musique n’a pas le même rôle que pour le commun des mortels. Mais il a su utiliser, je dirais un siècle et demi de partitions pour créer son propre univers musical. Berlioz aurait adoré ; Stravinsky* aussi. C’est entre ces deux là, où la grandiose silhouette de Wagner se profile également, que se situe la symphonie du Seigneur des anneaux, avec sa propre « marche au supplice », sa « chevauchée des Walkyries », son « Sacre du printemps ». Oui, un gigantesque fleuve qui vous pénètre dès la source, au pays des Hobbitts, vous saisit, vous éblouit, vous émerveille. Enveloppées de lueurs rougeâtres, les scènes de bataille, oppressantes, sont rendues d’une façon époustouflante par l’utilisation forcenée des percussions et des cuivres ; les cordes, à l’unisson, et les voix (deux cents choristes) remplissant l’espace sonore de vibrations qu’elles rendent encore plus angoissant. Une sorte de pulsation rythmique, où les musiciens de l’orchestre, à une vitesse folle, à la limite du possible, jouent sur les nerfs, coupant le souffle de l'auditeur halluciné. Les combats furieux des guerriers frénétiques résonnent, se répondant d’un bout à l’autre du champ de bataille musical.
Soudain, tout s’éteint, contraste saisissant, une flûte, un violon à trois cordes aux sonorités fascinantes, ou la voix suave de la soprano annonce la fin des combats et la renaissance de la vie, de l’amour, une monde d’harmonies suaves qui vous empoigne, sublimant votre émotion.
Un seul regret : la chanson de Gollum, un peu pauvre et qui aurait peut-être mérité un traitement moins « populaire ». Mais ce n'est qu'un très humble avis, goutte d'eau dans un océan de musique...

(Ci-dessous, photo d'Emmanuel Guillon)

En fait, cette symphonie peut se lire sur trois niveaux.
Le premier, facile pour quiconque, même non initié au classique, est celui de la seule musique et son emprise sur l’auditeur, ces leitmotive sublimes, le plus souvent exprimés par les cordes, qui sont autant de havres de paix au milieu de ces tempêtes, ces timbres si particuliers, attachés à chacun des peuples du monde médiéval de Tolkien, ces couleurs de l’orchestre, ces variations rythmiques, harmonie sublime d’une œuvre d’exception.
Le deuxième est celui de l’illustration de la trilogie filmée, dont la grille de dessins (en anglais Story-board, remarquable, d’ailleurs !) apparaît sur un écran, derrière les chœurs. On peut suivre ainsi la longue quête initiatique de Tolkien-Jackson, se replonger dans le climat magique de la trilogie auréolée d’une pluie d'oscars. Et les noms de Rohan, Aragorn, Terre du Milieu et autres Gondor ou Sauron remontent en nous.
Le troisième niveau est pour la technique musicale qu’une analyse approfondie, dont j’ai tenté de vous donner quelques clés, démontre que c’est encore dans les vieux alambics que l’on peut concocter les potions les plus hallucinogènes. A condition d'avoir le génie d'Howard Shore...

Si vous entendez parler d’une nouvelle présentation de ce spectacle —et j’ai perçu des allusions à ce sujet—, et que vous aimiez un tant soit peu la musique, n’importe quelle musique, laissez tout tomber et précipitez-vous! C’est un sommet. J’y serai. Coûte que coûte.

Valéry d’AMBOISE

* Pourtant, une pensée de Stravinsky doit faire hurler Howard Shore qui nous a démontré le contraire. L’auteur du «Sacre» a écrit, en effet : «Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit: un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature. La propriété immanente de la musique n’a jamais été l’expression.»
Allez écouter la «Nouvelle Symphonie fantastique», et donnez-moi votre avis.

Ci-dessous, le docteur Frère, Christian Estrosi, Howard Shore et Markus Huber devant les orchestres associés de Cannes-PACA et San Remo (cliché G. Veran)